- PHÉNOLIQUES (BIOGENÈSE DES COMPOSÉS)
- PHÉNOLIQUES (BIOGENÈSE DES COMPOSÉS)Des substances phénoliques de types très divers, allant de molécules simples jusqu’à des structures très complexes, sont produites par les végétaux et par les micro-organismes.À cette classe de composés appartiennent des constituants « secondaires » des plantes, aussi variés que les acides phénoliques, les dérivés de la coumarine, les pigments hydrosolubles des fleurs, des fruits et des feuilles, les tanins et les lignines, ces dernières représentant souvent une partie importante de la masse des composés organiques des plantes.Les connaissances sur la structure moléculaire et sur les propriétés de ces substances étaient déjà très avancées et leur synthèse avait été réalisée au laboratoire, alors que les mécanismes de leur production naturelle restaient purement hypothétiques. La formation du cycle benzénique paraissait pouvoir résulter de remaniements apportés à des molécules de sucres à six atomes de carbone, et l’inositol (polyalcool possédant un noyau de cyclohexane) a longtemps été considéré comme le précurseur immédiat des phénols.L’étude expérimentale de la biogenèse des composés phénoliques est relativement récente; elle n’a été rendue possible que par l’application des méthodes de blocage génique par irradiation inaugurées chez les micro-organismes par G. W. Beadle et E. L. Tatum, puis par l’utilisation des « précurseurs » marqués par un isotope du carbone, enfin par l’examen des systèmes enzymatiques qui catalysent chacune des étapes intermédiaires de la biosynthèse.1. Méthodes d’étude de la biogenèse des composés phénoliquesIntermédiaires naturels et précurseursDu point de vue chimique, un composé phénolique est une molécule comprenant au moins un noyau aromatique – ou benzénique – dont au moins un atome d’hydrogène est remplacé par le groupement oxhydryle –OH.Les animaux, en principe, sont incapables de constituer le noyau aromatique; aussi les substances phénoliques qu’ils produisent, en petites quantités, sont-elles formées à partir d’un noyau préfabriqué, présent dans certains composés aromatiques de leurs aliments, comme la phénylalanine et le tryptophane. Des systèmes enzymatiques d’hydroxylation leur permettent de greffer les groupements phénoliques sur ces noyaux. Ainsi, la phénylalanine donne la tyrosine qui, elle-même, peut être transformée en adrénaline ou, d’une manière plus complexe, en thyroxine.Les végétaux et la plupart des micro-organismes sont, par contre, doués du pouvoir de synthèse du noyau benzénique, suivant des mécanismes qui, souvent, produisent d’emblée des phénols. La biogenèse de ce noyau est restée inconnue jusqu’aux années 1950; de nouvelles méthodes de recherche conduisirent alors à des progrès rapides.Chez les végétaux, comme chez les micro-organismes, toutes les substances organiques dérivent de molécules de glucides simples. Lorsqu’une bactérie comme Escherichia coli produit un composé aromatique à partir du glucose de son milieu de culture, une série de corps intermédiaires, qui sont ses précurseurs , sépare la molécule aromatique de la molécule de sucre.Précurseurs marquésPour obtenir la preuve qu’une substance déterminée est bien un précurseur naturel, l’une des méthodes consiste à contrôler d’abord que cette molécule est bien présente dans l’organisme, puis à fournir à l’organisme cette substance préparée par synthèse et marquée par un isotope radioactif. On vérifie ensuite que la molécule produite, en bout de chaîne biosynthétique, est radioactive et que l’isotope y occupe la position prévue.Blocage d’une voie de biosynthèseUne autre méthode de recherche était fondée sur l’existence de micro-organismes dont la voie biosynthétique normale conduisant auxcomposés aromatiques est bloquée. Chacune des réactions intermédiaires étant l’œuvre d’une enzyme, la chaîne biogénétique peut être interrompue, soit par absence d’un catalyseur-enzyme, soit par l’action d’un inhibiteur de la réaction enzymatique (antimétabolite).Méthode auxotrophiqueLa méthode auxotrophique a mis en œuvre des mutants de micro-organismes chez lesquels l’absence d’un gène se traduit par l’absence d’une protéine enzymatique, donc par l’interruption d’une chaîne biosynthétique.L’application de ces méthodes a permis de reconnaître l’existence de deux grandes voies de formation du noyau aromatique: celle de l’acide shikimique et celle des unités acétiques. L’existence d’autres voies biogénétiques chez les micro-organismes et les végétaux n’est pas impossible. Les terpènes aromatiques, comme le p -cymène, dérivent de l’acide mévalonique, lui-même constitué par des unités acétiques.2. Voie de l’acide shikimiquePrincipesLa biogenèse des composés aromatiques suivant la voie de l’acide shikimique a été découverte par des études portant sur des mutants d’Escherichia coli (B. Davis) et de Neurospora (E. L. Tatum). L’irradiation des micro-organismes provoque des « pertes de pouvoir de synthèse », la destruction d’un gène ayant pour résultat l’absence d’une enzyme. Davis obtint ainsi des cellules d’E. coli qui ne pouvaient plus croître, à moins d’ajouter à leur milieu de culture de la tyrosine, de la phénylalanine, du tryptophane et de l’acide p -hydroxybenzoïque, toutes substances dérivées du noyau aromatique. Incapables de se développer sur un milieu plus simple, ces cellules ont été sélectionnées au moyen de la pénicilline, qui ne « tue » les cellules que dans les conditions de milieu qui permettent leur croissance. Davis constata qu’il était possible de remplacer les quatre facteurs de croissance des mutants aromatic less par une substance unique comportant un noyau hexacarboné à une seule double liaison, peu étudiée mais connue depuis 1885, l’acide shikimique (cf. formule, fig. 1).D’autres mutants qui réclamaient aussi les facteurs aromatiques de croissance accumulaient de l’acide shikimique dans leur milieu de culture. Chez ces mutants la chaîne biogénétique conduisant aux substances aromatiques était interrompue après l’acide shikimique, alors que, chez les mutants réclamant l’acide shikimique, la chaîne était interrompue avant sa formation. Ce corps apparaissait donc comme un intermédiaire naturel dans la chaîne des réactions conduisant aux composés aromatiques. La séquence complète des intermédiaires naturels a été ensuite établie par des expériences utilisant des molécules marquées et par des recherches sur les enzymes catalysant les réactions successives. La figure 1 représente la chaîne des réactions qui conduisent à la phénylalanine et à la tyrosine chez les micro-organismes.La méthode de recherche qui met en œuvre des mutants ne pouvait être appliquée aussi commodément dans le cas des végétaux supérieurs; celle qui fut d’abord employée consiste à fournir à la plante l’un des précurseurs hypothétiques, marqué par un isotope du carbone. Dès 1956, il fut prouvé par ce moyen que le noyau aromatique des lignines provient de l’acide shikimique (fig. 2).La plupart des enzymes de la voie biogénétique qui passe par l’acide shikimique ont été ensuite trouvées dans les tissus des végétaux, et l’acide shikimique lui-même a été effectivement trouvé présent dans les feuilles et les tiges de nombreuses espèces, particulièrement chez les plantes ligneuses.Biogenèse des acides phénoliques en C6-C3Une découverte importante fut celle de la phénylalanine-ammonia-lyase (J. Koukol et E. Conn, 1961), enzyme qui transforme la phénylalanine en acide trans-cinnamique avec libération de l’ion ammonium.En subissant des réactions d’hydroxylation, puis éventuellement de méthylation, en positions para et méta , par rapport à la chaîne latérale (hydroxylases, O-méthyl-transférases), l’acide cinnamique conduit aux divers acides phénoliques en C6-C3: p - coumarique, caféique, férulique, sinapique, etc. (fig. 2).La cinnamate-4-hydroxylase forme l’acide p -coumarique à partir d’acide cinnamique, en présence d’oxygène et de (NADH + H+).Chez les Graminées, la tyrosine-ammonia-lyase fournit directement l’acide p -coumarique à partir de la tyrosine.Formation des acides phénoliques en C6-C1L’expérience a montré que si l’on offre à des plantes ou à des tissus végétaux des acides cinnamiques marqués au C 3, ceux-ci sont facilement convertis en acides benzoïques marqués au carbone carboxylique: la biogenèse de ces composés en C6-C1 passe par les composés en C6-C3 et résulte de la dégradation de la chaîne latérale, probablement à l’état de combinaison avec l’acide adénylique (fig. 2).Biogenèse des ligninesLes lignines, enfin, dont la structure moléculaire n’est pas encore exactement connue, apparaissent comme des polymères phénoliques très complexes dont le réseau moléculaire est constitué par des « unités » en C6-C3.Un rapport de constitution de ces substances avec les alcools cinnamyliques était depuis longtemps pressenti. Dans des conditions expérimentales, l’oxydation des alcools cinnamyliques par des phénolases donne naissance à des radicaux libres qui, se condensant entre eux de diverses manières, conduisent à des polymères semblables à ceux qui constituent effectivement les lignines (fig. 3).D’autre part, Freudenberg a montré en 1953 que le glucoside de l’alcool coniférylique marqué pouvait être incorporé in vivo à la molécule de lignine synthétisée par le sapin.L’alcool coniférylique (fig. 2) résulte de la conversion en fonction alcool de la fonction acide de l’acide férulique.Le processus de réduction des acides hydroxycinnamiques en alcools hydroxycinnamyliques correspondants comprend une suite relativement complexe de réactions. En présence et aux dépens d’ATP, la fonction carboxylique est activée par la coenzyme A et sa réduction est réalisée en deux étapes (aldéhyde, alcool) par (NADPH + H+). L’ensemble des réactions réclame l’intervention de trois systèmes enzymatiques.La formation des lignines résulte finalement de la polymérisation des unités cinnamyliques amenées à l’état de radicaux libres par l’action déshydrogénante de peroxydases.La biogenèse de ces composés suit donc la voie de l’acide shikimique et de la phénylalanine; la phénylalanine-ammonia-lyase y joue un rôle crucial.3. Voie des unités acétiquesDès 1907, à partir de données purement chimiques, J. N. Collie suggérait que la formation du noyau aromatique chez les végétaux pouvait résulter de la condensation d’unités à deux atomes de carbone (–CH2–CO–).L’utilisation de molécules d’acide acétique marqué avait permis de démontrer en 1944-1945 que la chaîne linéaire des molécules d’acides gras provenait bien de l’enchaînement de telles unités. Après avoir montré que la condensation « tête à queue » d’unités acétiques pouvait rendre compte, théoriquement, de la formation de composés phénoliques (1953), A. J. Birch démontra par l’expérience que l’introduction d’acétate marqué dans le milieu de culture d’un Penicillium conduisait à la production d’acide méthyl-6 salicylique dans la molécule duquel le carbone radioactif était bien localisé dans les positions prévues par la théorie (1955; fig. 4). Un nombre important de constatations analogues sont venues ensuite confirmer la validité de cette théorie.Toute molécule possédant la fonction acide carboxylique peut, en principe, être allongée de trois « unités acétiques » et, par cyclisation, donner naissance à un composé aromatique, par exemple à un acide dérivé de l’orcinol (fig. 4). L’acide méthyl-6 salicylique est le corps produit dans le cas particulier où le premier acide est une molécule d’acide acétique (fig. 4). Si ce premier acide est une molécule d’acide cinnamique, le même processus de condensation, accompagné d’une décarboxylation, conduirait à un stilbène phénolique naturel: la pinosylvine du bois de pin (fig. 4)La formation du noyau aromatique peut aussi se réaliser sans qu’y participe, comme précédemment, le carbone carboxylique de la première molécule: la condensation avec trois unités acétiques peut alors conduire à un acyl-phloroglucinol ou à un dérivé du résorcinol (fig. 4). Si la molécule initiale est celle de l’acide cinnamique, il pourra ainsi se former une chalcone (enchaînement C6-C3-C6), puis une flavanone , par isomérisation (fig. 4), c’est-à-dire des représentants de la classe de composés à laquelle appartiennent les pigments jaunes (flavonoïdes) et les anthocyanes de teintes vives des fleurs [cf. PIGMENTS].Il a été reconnu que la condensation tête à queue des unités acétiques n’est réalisée, comme dans la biosynthèse des chaînes d’acides gras, que sur des unités activées (cf. métabolisme des acides GRAS). L’acide acétique passe à l’état d’acétyl-coenzyme A, puis réagit sous forme de malonyl-coenzyme A. La molécule acide initiale elle-même est activée par la coenzyme A. La biosynthèse d’un dérivé de l’acide orsellinique, par exemple, peut s’écrire comme il est indiqué à la figure 5. La cyclisation du produit de condensation intermédiaire est l’œuvre d’une enzyme. L’enzyme assurant la fermeture de la chaîne tri- 廓-cétonique de l’acide cinnamoyltriacétique préparé au laboratoire par synthèse, et produisant ainsi la pinosylvine, a été trouvée chez Eucalyptus sideroxylon (décarboxylase cyclisante; Hillis et Ishigura, 1969).Des composés phénoliques dont le squelette moléculaire est encore plus complexe que celui des précédents sont également biosynthétisés suivant le mode de condensation tête à queue d’unités acétiques. Par exemple, l’apport d’acétate marqué par le 14C à des cultures de Streptococcus aureofaciens conduit à la production d’hydroxy-5 tétracycline marquée et la situation des atomes de carbone radioactifs dans cette molécule est bien celle que prévoit la théorie (fig. 6).4. Biogenèses associant les deux voies de formation du noyau aromatiqueLes flavonoïdes et les anthocyanidines sont des composés phénoliques, généralement présents chez les végétaux à l’état d’hétérosides et constituant de grandes familles de pigments dont les couleurs sont respectivement jaunes ou de teintes vives (bleu et rouge). Leur structure moléculaire, en C6-C3-C6 (fig. 7, formules 1), comprend deux noyaux aromatiques et un hétérocycle oxygéné; la grande diversité de leurs couleurs dépend notamment du nombre des groupements phénoliques, ou des groupements –OCH3, portés par leur cycle B dans des positions semblables à celles qui sont occupées sur le noyau des acides cinnamiques substitués (fig. 2).De nombreux et très beaux travaux ont été consacrés, depuis 1957, à l’étude expérimentale de la biogenèse de ces pigments. La méthode consistait à offrir à des plantes, à des organes ou à des cultures de tissus des précurseurs hypothétiques marqués par un isotope du carbone, puis à rechercher dans quelle partie de la molécule biosynthétisée se trouvait être incorporée la radioactivité. De ces recherches il résulte que le noyau A est constitué par trois unités acétiques et que le reste de la molécule (C6(B)-C3) a comme précurseur immédiat l’acide cinnamique, lui-même formé par la voie shikimique (fig. 7, formule 2).Les deux grandes voies de biosynthèse aromatique sont donc mises en œuvre pour constituer chacune l’une des parties du squelette C6-C3-C6. C’est à partir de l’acide cinnamique, provenant de la désamination de la phénylalanine (ou à partir de l’acide p -coumarique), que s’édifie cet enchaînement en C15. L’acide cinnamique est d’abord activé à l’état d’ester de la coenzyme A par une cinnamoyl-coenzyme A-synthétase (K. Hahlbrock et H. Grisebach, 1970; E. Walton et V. S. Butt, 1971). L’allongement de la chaîne latérale de l’acide cinnamique, ou bien de l’acide p -coumarique, par trois unités acétiques (cinnamoyl-CoA + 3 malonyl-CoA) conduit à un enchaînement poly- 廓-cétonique dont la cyclisation donne le noyau A d’une chalcone (fig. 7, formule 3), précurseur commun des pigments et des composés voisins.Une isomérase spécifique transforme la chalcone en flavanone . Les formules 4 de la figure 7 résument, d’après Grisebach, la filiation des divers composés susceptibles d’êtres formés à partir de la chalcone. Le noyau B est souvent porteur d’autres groupements, –OH ou –OCH3, qui sont ajoutés après la formation du squelette C6-C3-C6 par des enzymes d’hydroxylation et d’O-méthylation, qui font l’objet d’intéressantes recherches. La production preférentielle d’un type particulier de composés détermine la couleur spécifique des fleurs et des fruits. Cette orientation des synthèses est contrôlée par des gènes agissant par l’intermédiaire d’enzymes. Les réactions éventuelles d’acylation et de glucosylation interviennent aussi à des stades tardifs de la biosynthèse.Ainsi tous ces pigments dérivent-ils pour une part importante de l’acide cinnamique produit par la voie shikimique. Certains faits suggèrent cependant que les composés de cette famille dont le noyau B porte plusieurs groupements phénoliques pourraient dériver directement de l’acide préphénique, suivant une voie qui éviterait le passage par la phénylalanine. Les facteurs héréditaires ne sont pas les seuls à déterminer la pigmentation des tissus végétaux par les anthocyanes et les flavonoïdes. La lumière joue également un rôle important à cet égard. L’étude des effets exercés par la longueur d’onde des radiations a montré que la formation de ces substances est contrôlée, au moins dans ses premières étapes, par le rayonnement ultraviolet. Le contrôle de l’activité biosynthétique s’exerce, ici encore, par l’intermédiaire des enzymes. La phénylalanine-ammonia-lyase est le premier système enzymatique dont l’activité dépend de la lumière et qui exerce, à son tour, une fonction régulatrice sur la suite des réactions de synthèse. Cette enzyme, qui produit l’acide cinnamique, contrôle aussi la production d’autres dérivés des acides cinnamiques, notamment celle des lignines.
Encyclopédie Universelle. 2012.